Placement d’un nourrisson et sa soeur après un accouchement…

La situation d’un nourrisson né sans assistance médicale et de sa sœur de 2 ans, placés provisoirement en pouponnière à Rennes émeut sur les réseaux sociaux et dans les médias :

https://www.liberation.fr/checknews/accouchement-non-assiste-que-sait-on-du-placement-de-deux-enfants-en-ille-et-vilaine-20220616_F7NGAHRIA5AY5M6IN7Y52VEFIY/

https://www.20minutes.fr/societe/3307799-20220614-ille-vilaine-apres-accouchement-domicile-couple-fait-retirer-bebe-fille

Notre cabinet a été interrogé sur cette affaire par Ouest France pour un article que vous trouverez ici :

L’émotion est vive et il ne s’agit pas pour nous de porter une appréciation sur la situation de cette famille dont nous ignorons tout mais simplement d’apporter un éclairage sur les questions juridiques que l’affaire soulève.

L’accouchement sans assistance médicale

Chaque femme a le droit de choisir la façon dont elle accouche et l’assistance médicale ne saurait lui être imposée.

Accoucher seule peut surprendre dans nos sociétés occidentales hypermédicalisées, mais reste une norme ailleurs dans le monde où l’on est à l’inverse surpris qu’une femme ait besoin d’assistance médicale pour ce processus parfaitement naturel.

Les accouchements sans assistance médicale se multiplient compte tenu notamment des obstacles que rencontrent les femmes qui souhaitent accoucher à domicile avec l’assistance d’une sage-femme.

Il faut rappeler que ces professionnels de santé se voient interdire de facto d’accompagner des accouchements physiologiques à domicile du fait des tarifs prohibitifs de couverture d’une telle pratique par les assurances au titre de la responsabilité civile professionnelle (20 000 à 30 000 euros l’année).

Sur cette question, je vous renvoie à cet article très documenté: https://www.msn.com/fr-fr/actualite/france/l-e2-80-99accouchement-c3-a0-domicile-est-il-autoris-c3-a9-et-dans-quelles-conditions/ar-AAYAqOK

Il en résulte des choix qui peuvent sembler extrêmes, d’accouchement sans assistance médicale.

Rien ne l’interdit : sur le plan juridique la liberté de la femme doit être respectée et dès lors que la loi ne la limite pas, elle est entière.

Qu’en est-il de la déclaration de naissance ?

La déclaration de naissance d’un enfant se fait auprès de l’officier de l’état-civil de la mairie du lieu de naissance de l’enfant ou directement à l’hôpital lorsque l’officier s’y déplace.

La déclaration de naissance d’un enfant à l’officier de l’état-civil, qui rédige l’acte de naissance, est obligatoire dans les 5 jours qui suivent le jour de l’accouchement en vertu de l’article 55 du Code civil. Il existe une dérogation portée à 8 jours s’il existe un éloignement entre le lieu de naissance et le lieu où se situe l’officier de l’état-civil. Dans le cas où le délai n’est pas respecté, il faut nécessairement qu’un jugement soit rendu par la juridiction du lieu de naissance de l’enfant constatant sa naissance.

Cette déclaration est donc essentielle au point que la personne ayant assisté à un accouchement mais qui ne fait pas cette déclaration est passible d’une contravention de 5ème classe en vertu de l’article R. 645-4 du Code Pénal. Dans le cas où le défaut de déclaration est intentionnel, il s’agit d’un délit prévu à l’article 433-18-1 du Code Pénal. Ainsi, l’auteur encourt une peine de six mois d’emprisonnement et 3750 euros d’amende.

La naissance n’est pas forcément déclarée par le deuxième parent, elle peut également l’être par le médecin, la sage-femme ou de manière générale par toute autre personne qui a assisté à l’accouchement. Si l’autre parent est présent, l’obligation repose principalement sur ce dernier.

Les dispositions prévues à l’article 56 du Code civil prévoient une liste restreinte de personnes pouvant déclarer la naissance sur le champ afin de limiter les risques de fraudes et d’erreurs : « La naissance de l’enfant sera déclarée par le père, ou, à défaut du père, par les docteurs en médecine ou en chirurgie, sages-femmes, officiers de santé ou autres personnes qui auront assisté à l’accouchement ; et lorsque la mère sera accouchée hors de son domicile, par la personne chez qui elle sera accouchée. L’acte de naissance sera rédigé immédiatement. »
L’officier de l’état-civil n’a pas de pouvoir d’appréciation sur les informations transmises, il doit informer le Ministère public d’une éventuelle difficulté, c’est le Ministère Public qui fait procéder aux diligences utiles.

La Cour d’Appel de Douai, dans un arrêt du 10 avril 1940 a retenu que « L’officier de l’état civil est seulement tenu de se faire donner les divers renseignements qui, aux termes de l’article 57 du code civil, doivent être énoncés dans l’acte. Il n’a pas à en vérifier la valeur juridique et matérielle, sa responsabilité n’étant engagée que lorsque la déclaration qu’il accepte est manifestement irrégulière ».

Quid du certificat médical initialement sollicité par l’officier d’état civil dans ce dossier ?

L’article 271 de l’Instruction Générale relative à l’état-civil recommande de fournir aux professionnels de santé des documents qui seraient remplis au moment de la naissance dans l’unique but d’unifier les attestations d’accouchement établies par ces professionnels. Dans tous les cas, lorsqu’un enfant naît en présence d’un professionnel de santé, une attestation établie par celui-ci sera exigée pour déclarer l’enfant.

En revanche, si aucun professionnel n’est présent, il ne m’apparaît pas que l’officier d’état civil puisse exiger un certificat médical.

L’IGEC en date du 11 mai 1999 permet un regroupement des dispositions législatives et réglementaire, des circulaires et des décisions jurisprudentielles relatifs à l’état-civil. Elle n’a pas, en elle-même, de force légale et ne saurait se substituer à un texte de loi.

Or, en réalité, le certificat médical n’est pas imposé par le code civil pour déclarer la naissance et ne peut donc être exigé.

Une question écrite sénatoriale avait d’ailleurs été adressée au Ministère de la justice en 2013 sur l’opportunité d’exiger un certificat médical de naissance normalisé et réglementé pour l’établissement d’une déclaration de naissance. Le Ministère de la justice considère qu’un tel certificat standardisé n’est pas opportun dès lors que la déclaration de naissance ne comporte aucune information d’ordre médical. Il n’y a donc pas d’équivalent avec les certificats médicaux d’accouchement nécessaires à l’établissement d’un acte d’enfant sans vie par exemple.
https://www.senat.fr/questions/base/2013/qSEQ130807803.html

Pour le cas dans lequel l’enfant serait né sans assistance d’un professionnel de santé, un certificat médical de naissance n’est donc pas exigé.

L’exigence d’une visite médicale

Les médias nous rapportent que l’officier d’état civil, inquiet de l’état de santé de ce nourrisson, aurait signalé la situation à la Protection Maternelle et Infantile (PMI) qui aurait invité les parents à réaliser un examen médical, sans délai.

Que dit la loi ?

Elle n’impose aucun examen médical à la naissance et nul ne peut donc exiger que cet examen ait lieu sans délai.

L’arrêté du 26 février 2019 relatif aux examens médicaux obligatoires de l’enfant prévoit dans son article premier le calendrier des vingt examens médicaux obligatoires mentionnés à l’article R. 2132-1 du Code de la santé (modifié par le décret n°2021-613 du 18 mai 2021).

Le premier examen médical de l’enfant est obligatoire dans les 8 jours après sa naissance : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000038175215/ (arrêté du 26 février 2019)

Avant le 8ème jour, il ne peut donc pas être imposé que l’enfant rencontre un médecin et les appréciations individuelles empreintes parfois d’une certaine volonté de contrôle social ne peuvent se substituer à ce que dit la loi.

La PMI peut donc inviter les parents à se présenter à eux avec le bébé pour s’assurer de son état de santé mais ne peuvent exiger leur présence ou un examen médical en dehors du cadre prévu par la loi.

L’ordonnance de placement provisoire

Elle est prévue par les premiers alinéas de l’article 375-5 du Code Civil
« A titre provisoire mais à charge d’appel, le juge peut, pendant l’instance, soit ordonner la remise provisoire du mineur à un centre d’accueil ou d’observation, soit prendre l’une des mesures prévues aux articles 375-3 et 375-4.
En cas d’urgence, le procureur de la République du lieu où le mineur a été trouvé a le même pouvoir, à charge de saisir dans les huit jours le juge compétent, qui maintiendra, modifiera ou rapportera la mesure. Si la situation de l’enfant le permet, le procureur de la République fixe la nature et la fréquence du droit de correspondance, de visite et d’hébergement des parents, sauf à les réserver si l’intérêt de l’enfant l’exige. »

Dans ce dossier, le Parquet fait savoir que la mesure de placement est motivée par des éléments de danger mis en lumière notamment lors de la visite médicale qui aurait constaté la dénutrition des enfants. Les parents contestent l’objectivité de ce constat, les pesées du bébé n’ayant pas été faites dans conditions comparables et l’état de santé de l’aînée n’ayant donné lieu à aucune inquiétude de la part du médecin traitant.

Le décès récent d’une enfant d’un an et demi affamée, en Bretagne, n’est peut être pas étranger à la réaction très extrême des autorités dans ce dossier https://www.20minutes.fr/societe/3301735-20220603-lorient-parents-mis-examen-apres-avoir-affame-fille-decedee-an-demi-gacilly

Placer un enfant, a fortiori nourrisson, est une décision difficile mais se trouver coupable d’une inaction qui l’a laissé mourir de faim l’est certainement davantage.
Dans l’urgence, sur la base d’informations toujours empreintes de subjectivité, des décisions contestables sont parfois prises, surtout quand les parents se sont trouvés démunis pour s’expliquer et faire entendre leur point de vue.

Ce sera tout l’intérêt de l’intervention de leur avocat lors de l’audience qui se tiendra prochainement devant le Juge des Enfants de Rennes pour maintenir ou non la décision de placement. Il apportera un éclairage nouveau, la contradiction, la rectification peut être d’informations erronées. Un débat contradictoire aura lieu afin de permettre la meilleure décision possible pour ces enfants.