Sexisme administratif

Comment sortir du sexisme administratif ? On vous répond

Maitre Blandin répond aux questions de Ouest France – Article paru le 29 juin 2023

Comment lutter contre le sexisme administratif et comment est il défini ?

L’outrage sexiste et sexuel est défini comme tout comportement portant atteinte à la dignité d’une personne en raison de son caractère dégradant ou humiliant ou qui crée à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.

La notion a connu de récentes évolutions bienvenues.

Le loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes avait créé l’infraction liée à l’outrage sexiste à l’article 621-1 du Code pénal désormais abrogé. Un comportement sexiste était passible d’une condamnation au paiement d’une amende prévue pour les contraventions de la 4ème classe voire de la 5ème classe en cas de circonstances aggravantes.

Le nouvel article 222-33-1-1 du Code pénal en vigueur depuis le 1er avril 2023 étend l’outrage sexiste à l’outrage sexuel et renforce les sanctions de l’outrage sexiste en cas de circonstances aggravantes en consacrant de tels agissements au rang des délits et non plus des contraventions. Ces comportements sont désormais passibles d’une amende d’un montant de 3750 euros. Par ailleurs, une amande forfaitaire de 300 euros peut également être prononcée à la discrétion de tout policier, gendarme ou agent public constatant l’infraction, ce qui permet l’application d’une sanction immédiate.

Le sort des comportements sexistes qui ne sont pas qualifiés d’aggravés est envisagé par le décret du 30 mars 2023 qui prévoit une condamnation à une amende de 5ème classe.

Huit circonstances aggravantes sont mentionnées, notamment le fait commis par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions. Aucune exigence de répétition des propos ou des comportements n’est imposée pour caractériser le délit. Une fois suffit pour porter plainte et obtenir une condamnation.

Afin de ne pas engendrer des conflits de qualifications pénales, l’application de cet article est exclue dans les cas où les faits relèvent de la qualification de violences ayant entraîné une ITT ou une ITT inférieure à 8 jours (article 222-13 du CP), d’exhibition sexuelle (article 222-32 du CP), de harcèlement sexuel (article 222-33 du CP), de harcèlement moral (article 222-33-2-2 du CP) et de harcèlement scolaire (article 222-33-2-3 du CP).

Le sexisme administratif renvoie ainsi à tous les outrages dont peuvent être victimes les administrés dans toutes leurs démarches administratives.

La lutte contre cette forme de sexisme a débuté par le remplacement de l’expression « nom patronymique » par « nom de famille » par la loi du 4 mars 2002. Cette loi a par ailleurs consacré la liberté de choix dans la transmission du nom de famille à l’enfant du couple mettant fin à la prééminence du nom du père.

La loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes a précisé que le nom d’usage sur les correspondances n’est figuré que sur demande expresse de l’intéressé. Le principe consistant à exclure le nom d’usage permet d’éviter toute discrimination à l’encontre des femmes divorcées ou veuves. La faculté d’utilisation du nom de sa conjoint ou sa conjointe en tant que nom d’usage incarne un choix personnel de l’intéressé·e qui ne peut pas lui être imposé, contrairement à ce que certaines administrations se permettent encore d’affirmer.

Face à une réaction récalcitrante de la part de l’administration et aux difficultés rencontrées par les femmes à faire respecter leur choix, une action civile pourrait être menée sur le fondement de la

commission d’une faute, consistant en la violation de la loi du 4 août 2014, dès lors qu’elle a un lien

de causalité direct avec un préjudice résultant du non-respect du libre-choix de l’intéressé.

Le terrain pénal pourrait également être envisagé en ce que la distinction opérée est discriminatoire et non consentie.

Il est primordial que les agents du service administratif et plus généralement les professionnels en contact avec le public soient sensibilisés au traitement des violences sexistes.

Les sanctions existent, charge aux victimes de signaler les faits pour que le Parquet engage des poursuites mais des actions internes peuvent également être envisagées lorsque les faits sont signalés aux supérieurs hiérarchiques des agents administratifs.

Chaque établissement public et chaque entreprise privée doit être vigilant face aux comportements sexistes qui peuvent engager leur responsabilité.

Outre un courrier d’alerte au supérieur hiérarchique de l’agent ayant eu un comportement inadapté l’administré pourra utilement saisir le Défenseur des Droits, autorité administrative indépendante de l’Etat qui peut être saisi en cas de litige avec l’administration, lorsqu’une démarche écrite auprès de l’organisme avec lequel l’administré est en conflit s’est avérée insuffisante.

En complément de ces démarches de curatives, des actions de prévention sont attendues pour favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes et prévenir les violences sexuelles et sexistes. Prohiber toute discrimination de genre par la non-utilisation d’une terminologie stéréotypée en est un exemple.

Ces actions de prévention se multiplient et doivent être saluées. Sciences Po Rennes a par exemple mis en œuvre un vaste programme de prévention des violences sexuelles et sexistes dont une conférence de 3 heures et des ateliers de sensibilisation avec des professionnels qui sont imposés à tous les étudiants de première année.

Le Guide de prévention et de traitement des situations de violences et de harcèlement dans la fonction publique (2017) énonce un panel de mesures préventives pouvant être déployées Les agents victimes ou témoins de tels comportements doivent mobiliser ces régimes de prévention. Le décret du 13 mars 2020 prévoit qu’un dispositif de signalements des actes de violence, de discrimination, de harcèlement et d’agissements sexistes dans la fonction publique doit comporter une procédure de recueil des signalements.

Un guide des outils statutaires et disciplinaires intitulé « Lutter contre les violences sexistes et sexuelles dans la fonction publique » (2022) propose des mesures susceptibles d’être prononcées, en sus d’une procédure disciplinaire comme le non renouvellement d’un contrat à durée déterminée, le refus de titularisation ou le retrait d’un emploi fonctionnel.

En 2020, la jurisprudence a validé le refus de titularisation d’un stagiaire compte tenu de son comportement inadapté envers le personnel féminin (CAA de Nancy, 2ème Chambre, 15 octobre 2020, n°18NCO2245).

En complément des actions de prévention, la loi et la jurisprudence participent ainsi à la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.

Pourquoi les documents administratifs sont encore automatiquement programmés au masculin ou la case de « madame » ne figure-t-il même pas parfois ?

Les motifs de cette prééminence de terminologie masculine dans les documents administratifs étaient supposément liés à une meilleure intelligibilité et clarté de la norme mais sont surtout un relent de patriarcat historique.

Dès 1999, des instructions ont été adressées aux administrations pour veiller à la bonne application des principes tels que l’accord féminin pour l’intitulé des fonctions tenues par une femme suivant les règles énoncées par le Guide d’aide à la féminisation des noms de métiers, titres, grades et fonctions intitulé « Femme, j’écris ton nom » ou de recourir à des formules ne marquant pas la préférence de genre.

Une circulaire en date du 21 février 2012 avait également préconisé l’évitement de l’emploi du terme

« Mademoiselle », au même titre que les expressions de « nom patronymique », « nom d’épouse » et

« nom d’époux ».

Chaque administration publique a ainsi été encouragée à supprimer cette terminologie dans les formulaires et correspondances sans pour autant y être directement contrainte.

En pratique, les réticences persistent

L’ancien Premier Ministre Édouard Philippe a refusé l’écriture inclusive et justifié l’utilisation du masculin en tant que « forme neutre » dans une circulaire du 21 Novembre 2017 relative aux règles de féminisation et de rédaction des textes publiés au Journal officiel de la République française.

Le Conseil d’État, à la suite d’une demande d’annulation pour excès de pouvoir de cette circulaire, a, par une décision du 28 février 2019, jugé que ces règles grammaticales étaient applicables lors de la rédaction des actes administratifs, en particulier ceux destinés à être publiés au Journal Officiel de la République française.

Ces instructions devraient aussi porter sur toutes les réponses émises par l’administration aux demandes des administrés. Il a considéré que l’interdiction de l’écriture dite inclusive ne porte pas atteinte au principe constitutionnel garantissant l’égalité des hommes et des femmes ou des personnes non-binaires.

Cet énième vestige patriarcal ne pourra être définitivement éradiqué -au moins dans les formulaires et correspondances- que par décret ou arrêté réglementaire, à portée contraignante.

Dans cette attente, des démarches écrites de demandes expresses auprès des administrations pour obtenir la modification de formulaires inadaptés doivent être initiées et la saisine du défenseur des droits envisagée dès lors que le formulaire est rédigé d’une manière manifestement sexiste.

Comment faire comprendre à son banquier ou à son assureur qu’il a un comportement sexiste ?

Je suggère de lui rappeler qu’un comportement sexiste est réprimé par la loi, non plus au rang des contraventions mais bien comme un délit compte tenu sa position professionnelle, de sorte qu’il est possible d’engager une action pénale à son encontre si ce comportement ne cesse pas sans délai.

L’application n’en reste pas moins délicate au niveau probatoire. Lorsqu’aucun agent de police, de gendarme ou d’agent public habilité n’a pu constater l’infraction, l’obtention d’attestations des personnes ayant assisté aux comportements ou propos sexistes ou sexuels peut favoriser une condamnation de l’auteur des faits.

En matière pénale, la preuve est libre et peut être rapportée par tous moyens, notamment un enregistrement audio.

Si ce comportement sexiste se manifeste pas écrit, la démarche en sera facilitée mais à défaut, la victime du propos peut en rappeler les termes par écrit dans un email mettant en demeure le banquier de ne pas réitérer ce type de comportement, ou, plus subtilement, demandant des explications sur le sens que le banquier a souhaité donner à de tels propos qui ont laissé son ou sa client.e dans l’incompréhension.

Si cet échange n’est pas de nature à canaliser l’attitude sexiste de votre banquier, une alerte auprès de son supérieur hiérarchique, une saisine du médiateur bancaire, qui comme tout médiateur à la consommation, a notamment pour fonction de résoudre ce type de litige, voire une plainte pénale, rappellera l’intéressé à l’époque égalitaire dans laquelle nous entendons désormais tous et toutes nous inscrire.

Des démarches en ligne permettent de signaler des injures ou un outrage sexiste ou sexuel via une messagerie instantanée et de communiquer avec un fonctionnaire de police ou un gendarme.

Qu’en est-il du mot mademoiselle ?

Le terme de « Mademoiselle » est encore utilisé dans la vie courante, souvent pour caractériser une jeune femme compte tenu de son âge plutôt que pour faire état de son statut matrimonial.

La référence à la situation matrimoniale des femmes ne constituant pas un élément de l’état-civil des intéressées, et traduisant un reliquat patriarcal de l’état de dépendance de la femme à son père puis à son mari, un statut administratif équivalent à celui des hommes s’imposait.

Le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes a créé un guide pratique pour une communication publique sans stéréotypes de sexe (2022) dans lequel sont formulées dix recommandations. Un guide « Égalité femmes-hommes, mon entreprise s’engage » (2021) à l’initiative du Ministère du travail et de l’égalité femmes-hommes à destination des PME et TPE préconise également d’adopter un « langage sans stéréotype de sexe ».

Un protocole d’accord sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes a été signé le 22 février 2022, et évoque en son article 2 que l’organisme veille à libeller de manière neutre, non-genrée et non discriminatoire les offres d’emploi qu’il diffuse, quelle que soit la nature de l’emploi proposé.

Plus largement, dans un rapport du 6 mars 2015 « Le sexisme dans le monde du travail : entre déni et réalité », le Conseil supérieur à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes a donné des exemples de manifestations du sexisme ordinaire (dissimulation du sexisme sous le masque de l’humour, les comportements dits paternalistes, les considérations sexistes sur la maternité…) pour que chacun œuvre à sa suppression y compris dans ses facettes les plus subtiles telles que l’utilisation du terme « mademoiselle ».

Un guide pratique et juridique sur le harcèlement sexuel et les agissements sexistes au travail de la direction générale du travail intitulé « Harcèlement sexuel et agissements sexistes au travail : Prévenir, agir, sanctionner (mars 2019) » reproduit des questions/réponses claires sur les modalités à suivre pour le recueil des témoignages et les actions à mener à la suite des dénonciations.

Une lectrice nous informe que son banquier continue de l’appeler mademoiselle malgré ses demandes claires de l’appeler madame. Que peut-elle faire ?

Il est essentiel de signaler ces comportements et agissements aux supérieurs de votre banquier afin que des dispositions nécessaires soient prises en interne. Tous les guides et rapports précités constituent une aide dans les démarches à mener.

Si vous n’obtenez pas satisfaction, n’hésitez pas à saisir le médiateur bancaire qui vous accompagnera dans vos démarches.

Enfin, l’image de la banque étant altérée par une attitude manifestement sexiste, la diffusion des motifs de votre mécontentement sur les réseaux sociaux est en dernier lieu un levier d’action très efficace !