Intervention de Marie Blandin au colloque Alexis Danan

25-26-27 octobre 2023

Colloque organisé à Rennes par l’association nationale des Comités de Vigilance Alexis Danan :

« Le parcours de la parole d’une victime »

Accompagner la parole vers la restauration

Intervention de Marie BLANDIN, Avocate spécialiste en droit de la famille et de leur patrimoine à Rennes, activité dominante auprès des victimes de violences sexuelles et sexistes

La restauration de la victime, pour ce qui concerne l’accompagnement que peut proposer l’avocat en droit des victimes, est protéiforme.

La première est bien sûr la condamnation de l’auteur et le prononcé d’une peine. Même si, comme l’a souligné mon confrère Patrice REVIRON hier, ce n’est pas mettre l’auteur en prison qui va réparer la victime, la reconnaissance de la qualité de victime qu’induit la condamnation de l’auteur participe à cette réparation. C’est l’idéal poursuivi par l’avocat en droit des victimes mais lorsque cette condamnation ne peut intervenir, d’autres réponses peuvent apporter un certain apaisement.

Le classement sans suite correctement motivé

Je voudrais évoquer le dossier de Monsieur M., qui m’a consultée pour dénoncer à 48 ans un précriminel à qui il avait été vendu les week-ends par son père. Dans mon cabinet où il savait l’écoute bienveillante qui lui serait réservée, il a réussi, pour la première fois, à nommer les actes subis. La réponse que j’ai pu lui apporter « je vous crois et vous n’êtes en rien responsable de ce que vous avez subis » a semblé apporter un premier soulagement. Nous nous sommes ensuite revus plusieurs fois pour rédiger une plainte précise et structurée que nous avons adressée au Parquet malgré la prescription évidente des faits subis dans l’enfance. Le Parquet a fait instruire correctement cette plainte, ce qui a mis en lumière une 2ème victime : son petit frère et a permis d’identifier l’auteur, désormais décédé. Classement sans suite certes, mais correctement motivé : infraction caractérisée mais extinction de l’action publique pour prescription et décès du mis en cause. Cette mention de l’infraction caractérisée équivaut pour la victime au « je vous crois » qui lui est tellement essentiel pour sa reconstruction. Elle ouvre aussi la voie d’une autre forme de reconnaissance, l’indemnisation.

L’indemnisation, en dehors de toute condamnation pénale,

Être victime coûte cher tant l’impact sur la santé psychologique, physique, les capacités d’insertion socio professionnelles, le risque d’addiction et de revictimisation sont conséquents, sans compter les frais engagés pour la défense de ses intérêts en justice. L’indemnisation pécuniaire est une réponse concrète qui répond à un besoin de financement réel des victimes mais apporte également sur le plan symbolique une forme de reconnaissance et de réparation.

·         Par l’intermédiaire de la CIVI

Je souhaite tout d’abord évoquer une juridiction indépendante de l’autorité de poursuite ou de jugement qu’est la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions (CIVI). Elle est sous utilisée alors que par son intermédiaire, une indemnisation peut être sollicitée auprès du Fonds de Garantie des Victimes en dehors de toute décision sur l’action pénale, lorsque le Parquet n’a pas encore orienté le dossier, mais aussi lorsque les faits sont classés sans suite ou prescrits par exemple.

Je voudrais citer trois exemples récents dont nous avons eu à connaître au cabinet.

Madame F. nous contacte suite à un dépôt de plainte malheureusement tardif. Nous bataillons jusqu’à la chambre de l’instruction pour faire reconnaitre la circonstance d’autorité qui aurait permis d’allonger le délai de prescription de l’époque, sans succès. Madame F. est épuisée par les procédures pénales et renonce au pourvoi en cassation. Nous lui proposons une requête en indemnisation devant la CIVI. Elle est déclarée recevable, perçoit une première provision et fait l’objet d’une expertise qui déterminera le montant de son droit à indemnisation.

Madame B. nous consulte suite au classement sans suite, par le parquet de Martinique de sa plainte pour viol. Une de mes collaboratrices Me Auréa Piederrière lui expose les voies de recours, notre cliente préfère renoncer à la voie pénale notamment du fait de localisation du dossier alors qu’elle réside désormais à Rennes. La CIVI est saisie. En sa qualité de juridiction autonome, la CIVI de Rennes a estimé cette semaine, à l’inverse du Parquet de Martinique, que les faits de viol dénoncés apparaissent parfaitement caractérisés. Pour obtenir cette décision Me Piederrière avait étayé le dossier pénal d’autres éléments accréditant la réalité de cette infraction.

Madame H. vient au cabinet après avoir dénoncé des faits d’agressions sexuelles commis sur sa sœur par son beau-père, auxquels elle a assisté durant son enfance. Madame H. en a été très marquée car elle a vécu avec cet homme jusqu’à sa majorité, dans la crainte d’être à son tour victime, sa mère n’ayant pas mis un terme à la relation malgré la connaissance des faits. Elle a fini par porter les faits à la connaissance de l’autorité judiciaire, sa sœur n’ayant pas pris l’initiative d’un dépôt de plainte. Alors qu’elle était à l’origine de l’information judiciaire, elle n’a pas été tenue informée des suites pénales et a appris incidemment, plusieurs mois après, qu’un jugement de condamnation avait été prononcé sans qu’elle ne soit jamais invitée à se constituer partie civile. Madame H. est pourtant incontestablement covictime, comme l’a souligné Arnaud Gallais hier en évoquant ses sœurs, et a besoin d’être reconnue comme telle. Nous saisissons donc la CIVI, l’examen de l’affaire est en cours.

·         Par une action civile directe

La CIVI présente l’avantage et l’inconvénient de tiers par rapport à l’auteur car c’est le Fonds de Garantie qui se retournera ensuite contre l’auteur du dommage. Une confrontation plus directe peut être souhaitée par les victimes. La juridiction civile est autonome et peut estimer les faits caractérisés même si le Parquet a adopté une position contraire : le classement sans suite n’est pas synonyme d’innocence, il est dans cette hypothèse synonyme d’absence d’éléments de preuve suffisants du point de vue de l’autorité de poursuite. C’est aussi et surtout dans les hypothèses de classement pour prescription pénale que l’action civile directe peut être envisagée car la prescription civile répond, en matière d’indemnisation d’un dommage corporel, à d’autres règles, notamment s’agissant du point de départ du délai de prescription qui est la consolidation de la victime. Or une victime de faits de violences sexuelles notamment, est rarement consolidée tant qu’elle n’a pas été reconnue en tant que telle.

Cette action civile permet de demander directement à l’auteur l’indemnisation du préjudice subi.

Elle s’appuie généralement, comme la saisine de la CIVI, sur le dossier d’enquête pénale, qui pourra être étayé d’éléments complémentaires.

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L’intérêt du dépôt plainte doit ici être rappelé même si l’auteur est décédé ou que les faits sont manifestement prescrits car le Parquet donne pour instruction de réaliser les actes d’enquête de base, même dans ces hypothèses : les investigations permettant parfois de découvrir d’autres victimes plus récentes ou des coauteurs (ou coupables de non dénonciation par exemple). C’est ce dossier pénal qui servira de support aux actions indemnitaires car seule, la victime dispose de peu d’éléments. Trop de victimes se découragent de toute action judiciaire sur la base de présupposés inexacts, il est essentiel de mieux les informer et les orienter pour qu’elles sachent que diverses formes de reconnaissances peuvent leur être apportées par la justice quelles que soient leurs situations.

La réponse ne peut cependant être exclusivement juridictionnelle et désormais la restauration peut également passer par un processus de justice restaurative.

La justice restaurative

Le 29 mars dernier, le film « Je verrai toujours vos visages » réalisé par Jeanne Herry, a mis en lumière cinématographique la justice restaurative.

Cet espace très spécifique de dialogue est porteur de grands espoirs d’évolution et d’apaisement.

Les objectifs et principes de la justice restaurative

On doit le concept de justice restaurative à des criminologues américains comme Howard ZEHR dont les travaux ont conduit, dans les années 1970, des travailleurs sociaux à proposer aux juges d’amener des adolescents vers les victimes pour réparer la part de préjudice non prise en charge par les assurances. La philosophie restaurative repose sur des valeurs d’interconnexion des êtres humains, sans nier les particularismes individuels, et de respect mutuel.

L’objectif de la justice restaurative n’est pas de réconcilier mais d’accompagner vers un cheminement plus harmonieux, respectueux des droits et des choix des personnes. La justice restaurative n’a pas de programme préétabli pour ses participants mais s’enracine au contraire dans le respect absolu de leurs attentes, de leurs besoins et leur volonté.

Elle s’inscrit dans une logique de paix sociale. C’est l’offre d’un espace de parole inédit où chacun des protagonistes pourra exprimer ses émotions, réintégrer son estime de soi, exprimer les interrogations auxquelles la justice pénale n’a pas permis de répondre (notamment celles du « pourquoi » et du « comment » qui sont fondamentales pour apaiser la victime).

Très développée en Belgique et dans les pays anglo-saxons où on la nomme justice réparatrice, elle permet un espace de dialogue pour réparer la victime et réinsérer l’auteur en prévenant la récidive. La justice restaurative ne se substitue pas à la justice pénale, elle agit en complément, indépendamment du procès pénal, pour répondre à des besoins profonds que ce dernier faillit à combler. Une victime sur deux seulement estime que, au terme d’une procédure pénale, justice lui a été rendue de manière satisfaisante.

La justice restaurative permet la rencontre de deux visions du monde qui, souvent, s’ignorent. Pour l’auteur c’est la pleine conscience des conséquences humaines de ses actes à l’égard des victimes. Pour ces dernières, c’est un lieu de parole libre où leur préjudice, leur souffrance, leur colère, sont pleinement entendus dans un cadre sécurisé. Lors des rencontres auteurs/victimes elles connaissent d’autres victimes et sortent de la solitude induite par les psychotraumatismes.

Les parties civiles sont souvent en attente de signes de reconnaissance insuffisamment permis par le processus judiciaire. L’espace de justice restaurative est un lieu où elles peuvent évoquer les répercussions de l’infraction sur leur vie, leur famille… C’est un lieu de réhumanisation où auteur comme victime retrouvent un visage humain, souvent nié de part et d’autre lors du passage à l’acte. La victime n’est plus un objet aux yeux de l’agresseur qui peut reconnaître la réalité de sa souffrance, l’infracteur n’est plus réduit au statut de monstre par la victime et peut réinvestir sa responsabilité d’être humain de ne pas nuire à autrui. Le postulat de la justice restaurative est notre humanité commune, quelle que soit la gravité des actes posés et son objectif est la réparation, la restauration de l’estime de soi par l’accueil inconditionnel de la parole.

Parce qu’il est confidentiel, le processus permet une liberté de parole des protagonistes, loin des stratégies judiciaires. Les regrets exprimés par l’auteur ne sont plus suspects de l’être à des fins utilitaires de réduction de la peine prononcée, la souffrance exprimée par la victime n’est plus suspecte d’être majorée à des fins indemnitaires : chacun peut exprimer avec authenticité ses ressentis aux seules fins qu’ils puissent être pleinement audibles, puisqu’ils n’auront aucune conséquence sur la décision judiciaire.

La reconnaissance des faits, de son implication et de sa responsabilité par l’infracteur est un préalable incontournable de la mesure. L’infracteur aura la responsabilité de prendre une part active dans la réparation des dommages causés à la victime, y compris une réparation symbolique qui prendra la forme d’une reconnaissance de son préjudice. En ce sens, la justice restaurative ne minore nullement la responsabilité de l’infracteur, au contraire, elle l’invite à l’assumer pleinement.

Les entretiens préparatoires, aussi nombreux que nécessaires, garantissent la sécurité psychique des protagonistes et particulièrement des victimes. Une évaluation est posée en amont pour s’assurer de l’aptitude des participants à la rencontre avec le ou les infracteurs. Les animateurs et médiateurs, neutres et formés, encadrent les participants tout au long du processus. La justice restaurative ne souffre aucune improvisation, elle fait l’objet d’un protocole strict pour éviter tout risque de survictimisation. Chacun des protagonistes doit être pleinement informé pour consentir à la mesure et peut y mettre un terme à tout moment. L’expression des émotions et ressentis est accompagnée par ces entretiens préparatoires, parfois complétés d’ateliers de communication. La préparation est aussi importante que la rencontre qui n’est pas une fin en soi et n’a d’ailleurs lieu que dans 40% des médiations restauratives. Il ne s’agit pas d’une pensée magique, mais d’un travail en profondeur qui, loin de nier la souffrance de la victime, en prend toute la mesure pour en donner connaissance aux infracteurs. Le processus participe à prévenir la récidive et donc à réduire le nombre de nouvelles victimes.

Toutes les infractions sont éligibles à la justice restaurative. Elle concerne les victimes directes mais également indirectes, toute personne concernée par l’infraction et ses répercussions pouvant y participer.

Le principe de gratuité s’applique à l’auteur comme à la victime. Les séances reposent sur le volontariat des participants qui n’en retirent aucun bénéfice matériel : aucune indemnisation complémentaire pour les victimes, aucune réduction de peine pour les infracteurs.

Le cadre légal français

Cette pratique est officialisée depuis 2014 par l’article 10-1 du Code de Procédure Pénale.

Le Code de Justice Pénale des Mineurs incite au développement de ce type de mesure, en son article L13-4. Pour les mineurs l’accord des titulaires de l’autorité parentale est nécessaire.

Une circulaire du 15 mars 2017 est venue préciser les conditions de mise en œuvre de la justice restaurative.

Les différents types de mesure de justice restaurative.

Les rencontres indirectes auteur/victime

Les protagonistes sont concernés par le même type d’infraction mais dans le cadre d’affaires pénales différentes. Ils ne se connaissent pas en amont de la rencontre. Il s’agit soit de rencontres détenus- victimes (RDV) au sein de la prison, soit de rencontres condamnés-victimes en dehors de la prison. A l’occasion de 4 rencontres plénières et d’une rencontre bilan, les participants abordent les répercussions de l’infraction dans leurs vies respectives. Ils s’engagent à ne pas se rencontrer en dehors du processus.

Les rencontres directes auteur/victime

La médiation restaurative

C’est un espace de dialogue entre plusieurs personnes liées par la même infraction. Il s’agit de s’exprimer mutuellement sur les faits commis et comprendre comment ils ont été vécus par chacun, à l’occasion d’une rencontre en face à face ou par l’intermédiaire du médiateur.

La conférence restaurative

Elle s’étend aux proches ou aux personnes de confiance de l’auteur et de la victime. Elle permet d’envisager les modalités du soutien que l’environnement familial et social peut apporter aux participants, qu’ils soient victimes ou infracteurs.

Le cercle restauratif

Des personnes mises en cause et des victimes de faits pour lesquels des poursuites ne sont pas souhaitées ou possibles (prescription de l’action publique par exemple) peuvent échanger dans cet espace de parole et de réflexion. Il s’agit notamment d’offrir un espace de parole à celles et ceux qui demeurent avec des interrogations perturbatrices. L’Eglise a proposé ce type de cercles restauratifs aux victimes de pédocriminalité par des membres du clergé dans le cadre de l’Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation.

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Les dispositifs à visée restaurative

Des cercles sont proposés aux auteurs sortants de détention, soit dans le cadre d’un cercle de soutien et de responsabilité pour les personnes condamnées dans le cadre d’infraction à caractère sexuel

présentant un risque élevé de récidive, soit dans le cadre d’un cercle d’accompagnement et de ressources pour des infractions d’autres types. Dans ces derniers, les auteurs sont accompagnés vers la reconquête de leur autonomie personnelle et sociale en présence de 3 ou 4 personnes appelées

« bénévoles de la communauté » et d’un coordonnateur

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En France, une volonté politique à développer

En France, c’est à Robert CARIO, qui fondera en 2013 l’Institut Français pour la Justice Restaurative (IFJR), et Paul MBANZOULOU, animateur formé à cette pratique, que nous devons les premières expérimentations de rencontre détenus-victimes, mises en place à la Maison Centrale de Poissy en 2010. L’IFJR porte la réflexion à l’échelle nationale et guide les associations à l’échelle locale.

Dix ans après les premières expérimentations, alors même que ses résultats sont unanimement reconnus, la justice restaurative ne concerne qu’une centaine de personnes par an.

Elle relève du budget de l’aide aux victimes et de l’accès au droit : sa mise en œuvre s’est faite à moyens constants et repose sur l’enthousiasme et l’investissement des professionnels de terrain qui peinent à la développer en l’absence de réelle volonté politique.

Nos instances publiques engageront-elles bientôt des moyens de développement de la justice restaurative ? C’est l’espoir de tous ceux qui appellent de leurs vœux ce cheminement vers un horizon d’apaisement.

La médiation parent-enfant

En parallèle de ces processus très codifiés, d’autres formes d’accompagnement vers la restauration peuvent encore être proposées aux victimes, notamment pour les infractions intrafamiliales lorsque les poursuites paraissent inopportunes, une forme de médiation nouvelle, entre parents et enfants, gagnerait à se développer. C’est un des sujets sur lesquels j’ai travaillé dans le cadre de mon mémoire de Diplôme Universitaire en médiation.

Entre parents et enfants, des crimes peuvent être commis mais des passages à l’acte beaucoup moins graves, tant du côté que du parent que de l’enfant, sont aussi légions et susceptibles d’altérer profondément la relation. Quelle réponse la médiation peut-elle apporter à ces situations ?

L’association Enjeux d’Enfants travaille sur cette thématique en permettant des rencontres entre les parents détenus et leurs enfants. Quand l’enfant est victime directe du parent, un système de navette est souvent nécessaire, parfois pendant des années, avant qu’une rencontre ne soit envisageable. L’enfant peut alors verbaliser à son parent la souffrance que ses actes ont générée. L’association travaille sur la responsabilisation parentale dans un espace de parole authentique. L’enfant peut aussi être victime indirecte des faits commis, sur sa sœur par exemple, et se trouver en position d’ambivalence face à ce père qu’il aime et dont il est privé, mais envers lequel il a du ressentiment pour la souffrance qu’il a infligée à un autre être qui lui est cher. Il trouvera dans cette forme de médiation un lieu pour dire cette ambivalence et vérifier si une relation peut ou non être renouée, malgré toutes les loyautés filiales, fraternelles avec lesquelles il devra négocier.

La médiation restaurative parent-enfant pourrait être utile en post-sentencielle lorsque l’enfant est maintenu au domicile du parent auteur de violence. Il en serait de même en composition pénale, cette

orientation concernant des parents qui sont capables d’une certaine introspection. La logique de médiation est une logique de responsabilisation du parent qui affronte, dans le huis clos confidentiel de la médiation, les besoins fondamentaux de l’enfant auxquels il a failli, dans l’idée de construire un autre mode relationnel avec lui. Dans le prolongement des plaintes classées sans suite pour réponse éducative, cette orientation en médiation serait bénéfique en ce qu’elle permet de mettre des mots sur les maux qui viennent d’être dénoncés, sans attendre l’évaluation éducative.

L’enfant n’attend pas, il est de retour au domicile le soir même face au parent auteur sans qu’un tiers neutre n’ait permis l’expression du ressenti de chacun lors du passage à l’acte. La médiation ici pourrait être un lieu de rééquilibrage, où le parent n’est pas accusé d’être intrinsèquement défaillant, parce que le passage à l’acte s’inscrit toujours dans un contexte, et où l’enfant apparaît comme sujet de droit sensible, impacté par l’action de son parent.

Pour des faits de moindre gravité, la médiation peut constituer une réponse immédiate pendant le temps de l’enquête pour éviter la rupture, en donnant à chacun un espace de parole, afin de maintenir la relation parent-enfant malgré le passage à l’acte. La réponse pénale nécessite souvent un temps judiciaire qui n’est pas le temps des familles. Dans l’hypothèse des violences improprement qualifiées d’ « éducatives ordinaires », les poursuites sont souvent jugées inopportunes. Ne pourrait-on pas alors envisager de proposer aux familles un espace de parole neutre pour nommer ce passage à l’acte, le ressenti de chacun et leur offrir un lieu où chacun peut exprimer ses besoins pour préserver la relation filiale à l’avenir ? Laurence VENEAU souligne « Les parents voudraient tourner la page. Mais reconnaître qu’il s’est passé quelque chose à la maison, c’est un passage obligé pour que l’enfant aille mieux ».1

La médiation est aussi un lieu où l’on apprend à communiquer sans agressivité grâce aux outils du médiateur. Pour les parents qui ont fait usage de violence sur l’enfant ou en présence de l’enfant, la médiation peut être un précieux espace d’apprentissage d’une autre forme d’expression, dans une logique psychoéducative car « si ces hommes utilisent leurs poings, c’est qu’ils n’ont pas appris à parler ! »2

La violence elle-même peut être « médiable ». Selon la catégorisation de Charles ROJZMAN, quatre formes de violences que sont la culpabilisation, la disqualification, le déni d’existence et l’agression qu’elle soit verbale, psychologique ou comportementale, peuvent être transformées en simple conflit. Un conflit, où s’exprime l’opposition des besoins, des intérêts ou des perceptions et qui prémunit de la violence conduisant à l’annulation du point de vue de l’autre.3 Les outils du médiateur permettent aux familles d’apprendre, empiriquement, comment la violence peut être ramenée au stade de conflit et comment ce conflit peut être verbalisé, géré, solutionné, d’une manière adaptée pour chacun.

Cette logique de prévention de la rupture de relation peine à se développer alors que ces familles ont particulièrement besoin de soutien pour pacifier l’organisation du vivre ensemble. Offrir un espace de parole dès l’enfance, pour permettre à l’enfant d’exprimer sa souffrance à son parent, donne non seulement l’opportunité de reconstruire de nouvelles bases relationnelles, mais travaille également avec l’enfant son droit à une parole individualisée.

La médiation apporte aussi de la subjectivité et de la nuance dans ces situations qui ne sont pas manichéennes car un parent agresseur peut aussi avoir été un bon parent par d’autres aspects, et il est réparateur pour l’enfant de savoir qu’il n’a pas grandi que dans les dysfonctionnements. Ce processus restaure ainsi chacun dans son humanité en le rejoignant dans ses vulnérabilités.

Le passage à l’acte peut d’ailleurs émaner de l’enfant, notamment l’adolescent, particulièrement dans les familles monoparentales. Les mesures de réparation imposées par le Juge des Enfants le sont dans une perspective de remise en relation de l’auteur et de la victime. Pour ces mineurs la confrontation à l’autre, l’accès à la subjectivité et l’empathie ne sont pas toujours spontanément acquises. Un cadre pour se mettre à la place de l’autre, comprendre les répercussions directes de leur action est extrêmement pédagogique.

Pour les faits les plus graves cependant, la médiation est d’abord un chemin, la rencontre n’étant pas une fin en soi. C’est un lieu où l’enfant pourra prendre sa juste place, qui peut être une place en distance. L’enfant du parent maltraitant peut-il intégrer un processus restauratif alors qu’il est mineur ? Des réticences fortes s’expriment sur ce point. La médiation n’est jamais interdite en tant que telle, y compris en cas d’allégation de violence, mais elle suscite alors de vives inquiétudes. Les familles gagneraient pourtant à pouvoir échanger autour de ces passages à l’acte. L’association « Les avocats de la paix » travaille à permettre des passerelles entre médiation familiale/médiation restaurative et d’autres méthodes d’accompagnement des familles pour que chacun bénéficie d’un accompagnement adapté vers la restauration.