divorce consentement mutuel

Sexisme administratif : que dit la loi ?

đź“° Extrait d’article paru sur Madmoizelle.com

Éclairage de Maître Marie Blandin, avocate en droit de la famille au Barreau de Rennes

Madmoizelle : En quoi consiste le sexisme administratif ? Existe-t-il une dĂ©finition ? 

Me Marie Blandin. À ma connaissance, il n’existe pas de définition légale. Je le définis comme une différence de traitement des usagers du fait de leur genre, généralement au détriment des femmes qui se voient imposées des obligations ou restrictions par rapport aux hommes. En ce sens, l’usage du nom est très significatif. C’est-à-dire que dans la loi, l’usage du nom du conjoint fait l’objet d’une parfaite réciprocité. Mais dans la pratique, ce n’est pas le cas. Il est par exemple extrêmement rare qu’un homme prenne le nom de famille de son épouse. En revanche, ce droit parfaitement réciproque est perçu par beaucoup d’administrations comme une obligation pour les femmes d’utiliser le nom de leur époux. 

Certaines évolutions récentes de la loi sont-elles aujourd’hui favorables aux femmes, pour éviter le sexisme administratif ?

Me Marie Blandin. Les lois sont Ă©galitaires, mais la pratique ne l’est hĂ©las toujours pas. Cela peut ĂŞtre dĂ» Ă  une mĂ©connaissance de la part des agents d’administration, Ă  de mauvaises habitudes… Ce qui conduit Ă  des pratiques illĂ©gales. Des circulaires sont rĂ©gulièrement rĂ©alisĂ©es pour rappeler les nouveaux usages, mais encore faut-il qu’elles soient lues et appliquĂ©es.

J’ai beaucoup de clientes qui me disent avoir perdu leur nom de naissance et se demandent quand est-ce qu’elles vont le retrouver. Or, on ne perd pas son nom de naissance : on obtient une facultĂ© supplĂ©mentaire d’utiliser le nom de la personne que l’on va Ă©pouser. Or, dans les faits, les administrations en arrivent parfois Ă  dire aux femmes qui divorcent que si elles veulent reprendre exclusivement leur nom de naissance, elles doivent prĂ©senter le jugement ou la convention de divorce. C’est faux : elles n’ont pas besoin de ces dociments pour pouvoir reprendre l’usage exclusif de leur nom de naissance. J’ai rĂ©cemment eu le cas d’une Ă©lue municipale pour laquelle j’ai Ă©tĂ© obligĂ©e de faire un courrier Ă  la mairie car en conseil municipal, on continuait Ă  l’appeler sous son nom d’épouse alors que d’une part elle Ă©tait divorcĂ©e, et d’autre part parce qu’elle avait mentionnĂ© plusieurs fois qu’elle souhaitait reprendre l’usage de son nom de naissance. Mais on lui rĂ©pondait que parce qu’elle avait Ă©tĂ© Ă©lue sous ce nom-lĂ , ça n’était pas possible de changer. Ils ont fini par modifier. 

Mais je ne suis pas non plus pour demander Ă  tout prix Ă  une femme qui divorce et vit donc une pĂ©riode qui n’est pas facile  de se battre pour reprendre l’usage exclusif de son nom de naissance. Sacrifier les gens sur l’autel de nos convictions n’est pas non plus la bonne solution. J’entends que beaucoup de femmes prĂ©fèrent attendre le jugement de divorce, pour ne pas se lancer dans des dĂ©marches qui vont leur prendre beaucoup d’énergie. Mais de l’autre cĂ´tĂ©, si on ne met pas non plus le nez des administrations dans leurs mauvaises pratiques, les choses n’évolueront pas. 

Ces situations sont-elles d’autant plus difficiles Ă  vivre en cas de sĂ©paration conflictuelle ou dans un contexte de violences conjugales ? 

Me Marie Blandin. Oui, dans ces situations, il y a un ressenti d’urgence Ă  reprendre son nom de naissance. Quand on est dans l’apaisement, un divorce avec consentement mutuel se règle aujourd’hui en deux mois. Mais cela peut prendre des annĂ©es en situation conflictuelle. Reprendre son nom de naissance dans ce contexte est une façon de marquer la sĂ©paration vis-Ă -vis des tiers. Mais cela pose aussi après aux femmes le problème des noms des enfants. Parce qu’aujourd’hui, la pratique majoritaire reste de donner le nom du père uniquement. Et d’ailleurs, beaucoup de personnes pensent que lorsqu’il y a un dĂ©saccord sur cette question entre les parents, donner le nom du père prĂ©vaut avant le nom de la mère. Or, les noms sont donnĂ©s par ordre alphabĂ©tique. 

En ce sens, la loi relative au choix du nom issu de la filiation entrĂ©e en vigueur le 1er juillet 2022 est une vraie Ă©volution. DĂ©sormais, on peut changer de nom pour ajouter celui du second parent et ce, sans que l’autre parent n’ait Ă  donner son accord. C’est donc mieux vĂ©cu par les femmes qui se sĂ©parent de leur conjoint, car elles ont la possibilitĂ© de leur transmettre leur nom de famille. 

Quid de la disparition de « Mademoiselle » dans les documents administratifs ? 

Me Marie Blandin. Parce qu’il faisait une distinction entre les femmes mariées et celles qui ne l’étaient pas, le terme « Mademoiselle » est vraiment révélateur du sexisme administratif. Il n’y a pas de distinction entre les hommes selon qu’ils soient mariés ou non ! C’est un terme qui n’avait aucune justification, si ce n’est celle de notre héritage patriarcal. Une circulaire du 21 février 2012 préconise d’ailleurs l’évitement de « Mademoiselle », au même titre que les expressions de « nom de jeune fille », « nom d’épouse » et « nom patronymique ».

Que faire en cas de sexisme administratif avĂ©rĂ© ? 

On peut faire un courrier pour demander une modification. Généralement, lorsque qu’un·e avocat·e l’écrit, cela suffit. Après, face à un organisme récalcitrant, on pourrait envisager de saisir le tribunal administratif pour enjoindre des astreintes. Si cela porte un préjudice particulier, il est aussi possible d’envisager d’engager une action d’indemnisation, ne serait-ce que pour avoir fait cinquante courriers afin d’obtenir le changement de nom demandé. 

Après, le sexisme constitue un dĂ©lit. On peut donc, si le sexisme d’un banquier ou d’un agent administratif atteint un certain degrĂ©, invoquer le dĂ©lit d’outrage sexiste selon le 222-33-1-1 du Code pĂ©nal. Car le sexisme administratif peut aussi ĂŞtre une manière de harceler une personne avec qui on a un dĂ©saccord. Je pense notamment Ă  ce cas de l’élue municipale, qui faisait partie de l’opposition, et Ă  qui on a refusĂ© l’usage exclusif de son nom de naissance. Cela peut ĂŞtre considĂ©rĂ© comme une forme de harcèlement sexuel (article 222-33 du Code PĂ©nal) ou de harcèlement moral (article 222-33-2-2 du Code PĂ©nal). 

Existe-t-il encore des administrations ayant des formulaires oĂą « Monsieur » prĂ©vaut sur « Madame » ? 

Me Marie Blandin. Il me semble qu’aujourd’hui, on est davantage Ă  jour au niveau des formulaires Cerfa. Cela peut peut-ĂŞtre arriver au niveau de petites structures, d’associations, qui n’ont pas encore mis Ă  jour leurs formulaires. Dans ces cas-lĂ , je pense qu’il faut simplement Ă©crire Ă  l’organisme pour alerter sur la non-conformitĂ© du formulaire selon les normes actuelles d’égalitĂ© de traitement entre les hommes et les femmes. 

D’autres Ă©volutions dans la loi sont-elles aujourd’hui souhaitables pour en finir avec le sexisme administratif, comme l’écriture inclusive ? 

Me Marie Blandin. Oui, je pense que l’égalitĂ© passe aussi par le langage. Je fais partie des avocates qui ont mis un petit « e » Ă  « avocate » bien avant que ça ne soit autorisĂ© par le Conseil national des barreaux. Ces actions symboliques comptent. La fĂ©minisation du vocabulaire, notamment pour les mĂ©tiers, est selon moi essentielle. 

Quels conseils juridiques donneriez-vous aux femmes qui font face au sexisme administratif ?

Me Marie Blandin. En premier lieu, il faut Ă©crire pour garder une trace, ne pas simplement faire la demande orale Ă  un conseiller, par exemple. Il faut aussi se rĂ©fĂ©rer Ă  la loi pour montrer qu’il ne s’agit pas d’un ressenti, d’une envie, d’une lubie. Et qu’il existe des circulaires, des textes sur lesquels les femmes peuvent s’appuyer.