Quésaco : le sexisme administratif ou quand les institutions…

📰 Article publié par ETX Studio, 17 novembre 2023

Vous êtes une femme, vous venez de vous marier et votre assureur a changé votre nom de famille sans vous prévenir en amont pour le remplacer par celui de votre mari ? Vous êtes celle qui gagne le salaire le plus élevé au sein du foyer fiscal, mais votre patronyme figure systématiquement après celui de votre conjoint sur vos déclarations d’impôts ? Pas de doute : vous êtes victime de sexisme administratif.

Peut-être avez-vous déjà remarqué, en souscrivant une demande de crédit immobilier ou en remplissant un quelconque formulaire administratif, que la case « Monsieur » est souvent proposée avant celle qui s’adresse à « Madame ». Et sur certains documents, il arrive encore de tomber sur celle de « Mademoiselle », pourtant sommée d’être supprimée par une circulaire de Matignon publiée en… 2012 ! Autre exemple : sur une déclaration commune d’impôts qui concerne deux membres d’un couple hétérosexuel, celui de l’homme s’affiche en « déclarant numéro 1 » et ce peu importe si la femme gagne plus que son mari. Ces situations sont tellement ancrées dans nos pratiques qu’elles en deviendraient presque imperceptibles. Pourtant, ce phénomène porte un nom : le « sexisme administratif ». Et il ne s’arrête pas aux formalités évoquées ci-dessus. Le sexisme administratif peut aussi se traduire par des abus subis personnellement par les femmes, qui surviennent majoritairement lorsque celles-ci se marient, divorcent ou font des enfants.

« Encore aujourd’hui, beaucoup de conventions de divorces rédigées par des confrères précisent par exemple que Madame ne souhaite pas conserver l’usage du nom de son mari », note Marie Blandin, avocate spécialisée en droit de la famille. « Je corrige toujours en précisant qu’aucun des deux époux ne souhaite conserver le nom de l’autre, histoire de bien rappeler que ce droit est symétrique », poursuit-elle. D’après l’avocate, il arrive encore que les banques, les caisses d’assurance ou l’employeur demandent aux femmes un justificatif de divorce lorsqu’elles souhaitent reprendre l’usage exclusif de leur nom de naissance… « Ce qui est pourtant illégal », rappelle-t-elle.

Parfois aussi, le changement est fait automatiquement lorsqu’une femme se marie. Dans les médias et sur les réseaux sociaux, des femmes racontent avoir, du jour au lendemain, constaté un changement de leur nom sans leur consentement de la part d’organismes, tels que la Sécu, la CAF, la Mutuelle ou encore le service des impôts. La plupart du temps, ces administrations ont procédé à des changements de leur nom de naissance au profit de celui de leur mari. Là encore, la pratique est illégale : « S’il n’y a pas de demande expresse, il ne doit pas y avoir de changement », précise Marie Blandin.

Harcèlement moral ou outrage sexiste

Si l’on est victime de sexisme administratif, la première chose à effectuer consiste bien sûr à contacter l’administration en demandant de rectifier le tir, de préférence par écrit (mail ou courrier). « Si cette démarche ne suffit pas, on peut faire appel à un avocat ou à une avocate et envoyer un courrier recommandé de mise en demeure, en mettant les membres de la direction de l’entreprise en copie », conseille Marie Blandin. « Dans la plupart des cas, cela fonctionne », assure l’avocate. « Mais on peut aussi s’adresser à la hiérarchie des établissements concernés en les prévenant qu’on s’apprête à dénoncer leurs agissements sexistes dans la presse et sur les réseaux sociaux », ajoute-t-elle.

Dans les cas les plus sévères, par exemple celui d’une femme qui ne pourrait plus utiliser son compte bancaire, l’avocate recommande de porter plainte et d’engager une action en justice. « Ces plaintes peuvent aboutir à des qualifications pénales de harcèlement ou d’outrages sexistes, avec des peines qui peuvent être prononcées contre les auteurs du délit », précise-t-elle. Mais, même sans en arriver au tribunal, le fait de se faire accompagner sur le plan juridique par une ou un spécialiste peut aussi aider les femmes sur le plan moral. « Souvent, les administrations essaient de balayer le problème en les faisant passer pour des enquiquineuses. C’est donc déjà beaucoup pour ces femmes d’être écoutées et de s’entendre dire qu’elles sont dans leur bon droit », explique Marie Blandin.

Des résultats « encourageants », « même si nous n’en sommes qu’aux prémices »

Le sexisme administratif se manifeste au-delà de l’administration au sens strict. Il concerne d’autres secteurs, comme les banques, les écoles, les entreprises, etc. Cela passe aussi par la féminisation des métiers, pointe Marie Blandin, qui cite l’exemple de sa propre profession : « Cela fait seulement un an que le Conseil national du barreau nous autorise officiellement à dire « avocate » ou « bâtonnière ». Je me suis toujours présentée comme avocate. J’ai donc été dans l’illégalité pendant 14 ans ! », plaisante-t-elle.

Heureusement, les pratiques évoluent : les formulaires administratifs réglementés Cerfa ont par exemple (du moins pour la plupart) retiré la case « Mademoiselle. » Marie Blandin cite également l’exemple des formulaires scolaires qui, depuis 2019, mentionnent « Parent 1 » et « Parent 2 » à la place de « père » et « mère ». « Même si nous n’en sommes qu’aux prémices, ces résultats sont encourageants, car ils incitent à sortir peu à peu d’une tradition patriarcale et à proposer une autre vision de la société », analyse l’avocate.

Léa Drouelle